Claude Garcia
A. De Grave, 2018

Professeur en gestion internationale des forêts à la Haute école spécialisée bernoise et chef de l’équipe gestion forestière et développement à l’École polytechnique fédérale de Zurich, Claude Garcia est un chercheur passionné, qui a mis en application une approche par le jeu innovante et qui collabore notamment avec FSC International sur plusieurs projets.

Écologue de formation, c’est au moment de ses études que le chercheur a eu un déclic, et s’est progressivement dirigé vers des méthodes de recherche moins conventionnelles pour aborder les enjeux complexes des paysages et territoires forestiers. « J’ai réalisé ma thèse sur les forêts sacrées en Inde, et en trouvant une statue au milieu de ma placette de mesure, je me suis dit qu’il ne suffisait pas de mesurer les arbres et de faire des inventaires pour comprendre la forêt. Je devais comprendre les gens » explique-t-il, « alors j’ai commencé à parler aux personnes qui m’entouraient, mais là encore, je buttais sur des difficultés. Comment comprendre le décalage entre ce que les gens disent, entre ce que les gens veulent, et ce que les gens font ? Grâce à mes collègues du CIRAD, j’ai eu la chance de découvrir une méthode qui s’appuie sur les jeux pour comprendre comment les gens prennent des décisions ».

Cette méthode, appelée « modélisation d’accompagnement » ou « ComMod », est une approche utilisée pour étudier les processus de coordination entre acteurs et de décision collective. L’approche puise ses racines dans le monde de l’Intelligence Artificielle, mais aussi dans les travaux d’Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie grâce à ses travaux sur la gouvernance des communs. La méthode s’appuie sur la construction, avec les principaux intéressés, de modèles multi-agents et des jeux de rôles ou jeux de stratégie qui facilitent les réflexions collectives, dans un cadre scientifique. « Mon travail consiste à décrire les systèmes que j’observe sous forme de jeux. En jouant, on peut vérifier si tout le monde a compris la même chose, et on permet aux uns de se mettre à la place des autres, de soulever des problématiques, de tester des stratégies, de répondre à des questionnements. Cette méthode a été une grande découverte pour moi, et depuis 2009, elle est au cœur de toutes mes recherches » raconte Claude Garcia.

MineSet
C. Garcia, 2017

À travers cette approche, le chercheur s’adresse à toute personne qui souhaite comprendre et aborder une situation où les choix des gens sont au cœur de la problématique. FSC International fut l’un des premiers acteurs à s’intéresser à ces méthodes basées sur le jeu en dehors du contexte académique, et a débuté une collaboration avec Claude Garcia en 2017 pour aider à la résolution des problématiques de la gestion des paysages forestiers intacts (IFL) dans les forêts du Bassin du Congo. « À l’époque, le groupe de travail qui avait été créé pour définir des indicateurs régionaux ne trouvait pas de consensus. Avec le directeur du Programme FSC pour le Bassin du Congo, nous avons organisé un atelier de 3 jours : le premier jour, les négociateurs ont appris à jouer à un jeu que nous avions développé par ailleurs sur les dynamiques territoriales en Afrique Centrale. Le deuxième jour ils ont fait le lien entre les négociations en cours, la situation sur le terrain et le jeu, et le troisième ils ont construit un accord. Leurs feedbacks étaient extrêmement positifs : ils avaient rarement aussi bien échangé » se rappelle le chercheur. Cependant cet accord allait à l'encontre des termes de la motion initialement votée par les membres en Assemblée générale. Il a donc dû être remis sur la table et une solution temporaire a été proposée et acceptée en attendant une résolution plus globale de la question des IFL. 

À ce jour, la question des IFL reste non résolue. Le chercheur travaille donc depuis septembre 2020 avec FSC International dans le cadre du projet « Focus Forests » et propose d’adopter un processus de co-construction encore plus inclusif, utilisant les jeux aux différents niveaux de décision interne à FSC, afin de pouvoir poursuivre et renforcer le dialogue dans les grandes régions concernées par l’enjeu des forêts intacts (Afrique Centrale, Amérique Latine, Canada, Russie…).

Aujourd’hui, le chercheur et son équipe ont conçu de nombreux jeux, tous basés sur des situations de terrain. « MineSet » permet d’explorer les interactions entre les secteurs miniers et forestier dans le Bassin du Congo ; « AgriForest » représente les dynamiques d’un terroir villageois dans le Bassin du Congo ; « CoPalCam » représente la filière de l’huile de palme. Les jeux sont toujours construits avec les acteurs et les principaux intéressés, et associent savoir local, connaissances du terrain et expertise scientifique.

Le grand intérêt de ces différents modèles réside dans leur impressionnante adaptabilité à des territoires très variés. « Lorsque nous créons un modèle, c’est-à-dire une description de la réalité, certaines informations sont sacrifiées, afin d’avoir un jeu ni trop lourd, ni trop complexe, que l’on peut manipuler aisément » explique Claude Garcia. « L’information peut alors se perdre selon 3 dimensions : la précision, le réalisme et la généralité. Et on peut en sacrifier une au profit des deux autres ». Si la plupart des chercheurs créent des modèles très précis et réalistes, Claude Garcia et son équipe ont décidé d’adopter une attitude très différente et de sacrifier la précision. Leurs modèles sont donc peu précis mais extrêmement réalistes et génériques, ce qui signifie qu’ils peuvent être utilisés sur des territoires très différents tout en s’adaptant bien aux réalités locales du terrain.

Pour aller plus loin, le chercheur et plusieurs de ses collègues ont créé en 2018 la start-up LEAF Inspiring Change, dans le but d’appliquer les recherches effectuées au monde de l’entreprise. Ils travaillent aujourd’hui aussi bien avec des acteurs privés et institutionnels que des populations locales qui, par leurs actions, façonnent le paysage. « Tous n’ont pas le même rôle ni la même importance stratégique sur le devenir d’un territoire. L’image d’une cascade est très adaptée ; il faut bien souvent remonter la rivière pour atteindre ceux qui ont le pouvoir de changer les choses » explique-t-il. « Il y a encore beaucoup de scepticisme à lever, car peu de personnes imaginent comment un jeu peut les aider à résoudre des enjeux aussi complexes. Cependant, avec l’accumulation des succès, les portes s’ouvrent ».

MineSet - gestion des territoires
P. Bommel, 2021

Car ce n’est pas tant le jeu qui est important, mais le dialogue qui s’en suit. « Nos modèles ne disent pas aux gens ce qu’il faut faire, ils les mettent dans la situation d’identifier par eux-mêmes ce qu’ils peuvent faire » explique Claude Garcia « nous ne trouvons pas les solutions à leur place ».

Le chercheur et son équipe étaient ainsi présents au Congrès mondial de la nature de l’UICN, organisé à Marseille en septembre 2021, et ont présenté le jeu « MineSet ». L’une des sessions a rassemblé une quarantaine de délégués de 15 nationalités différentes, tous engagés dans le projet BioDev 2030 soutenu par l’Agence Française de Développement et porté par Expertise France, le WWF et l’UICN.  L’objectif est d’encourager la construction d’accords volontaires sectoriels pour préserver la biodiversité. « Le cadre du jeu leur a permis de simuler la construction de ces accords volontaires, d’identifier les blocages et obstacles à lever, les risques et dangers, c’était un excellent exercice pour se préparer à leurs futures négociations » explique le chercheur.

Ce dernier est conscient de l’utilité de ces outils, et cherche désormais à leur apporter plus de visibilité. « Aujourd’hui, il nous manque 3 ingrédients pour amplifier la puissance de ces outils : (1) des joueurs, mais pas n’importe lesquels, ceux qui sont en capacité de changer et qui ont les mains sur les leviers ; (2) des ambassadeurs, qui vont inviter les autres à découvrir la méthode et qui ont les réseaux et la capacité d’appel nécessaire, tels que des chefs d’entreprise, des influenceurs, des élus. Enfin, il faut (3) du temps, car ces jeux ne durent pas 20 minutes. Ce sont des ateliers d’une demi-journée, une journée, pourquoi pas 3 jours si la complexité du problème l’exige. Il faut se pencher sérieusement sur les problèmes, et mettre en place une réflexion stratégique profonde. Quand on dit cela, les gens nous disent que ce n’est pas possible. C’est terrible non ? C’est comme dire “je n’ai pas le temps de réfléchir à ce que je fais !“ ».

Ces méthodes basées sur le jeu sont donc de réels outils permettant de créer un cadre bienveillant et d’établir un dialogue sans jugement autour de problèmes souvent complexes de gestion des territoires. « Cette bienveillance est tournée vers les participants mais elle est sans complaisance pour les réalités du terrain » rappelle Claude Garcia. Il appelle ainsi tous ceux qui sont en capacité de faire bouger les lignes de se pencher sur cette approche innovante, et notamment les COP « qui devraient intégrer ces modèles dans les discussions et modes de décisions, pour améliorer leurs stratégies et ainsi mieux répondre aux enjeux climatiques, de pauvreté, de biodiversité ».

Si vous êtes intéressés par cette approche, n’hésitez pas à contacter Claude Garcia à l’adresse suivante : claude.garcia@bfh.ch.