Le 22 juin 2022, FSC France célébrait ses 15 ans lors d’une soirée spéciale organisée à Paris. À travers une table-ronde d’artistes engagés animée par Alice Audouin et une exposition d’œuvres d’art pensée par Fanny Legros, cet événement abordait le sujet de la place des écosystèmes forestiers dans l’art et la culture. C’était l’occasion pour FSC France d’offrir une nouvelle expérience à ses invités, en laissant de côté, le temps d’une soirée, la technicité inhérente à la certification FSC pour prendre de la hauteur sur le rôle des forêts et se reconnecter à l’essentiel.

Pour aller plus loin, découvrez l’interview croisée d’Alice Audouin, commissaire d’expositions, Présidente et fondatrice de Art of Change 21, consultante et conférencière, et de Fanny Legros, fondatrice de Karbone Prod, agence de conseil pour la production éco-responsable des expositions et événements artistiques.

Alice Audouin - Fanny Legros

(Gauche : Alice Audouin - Droite : Fanny Legros)

Pouvez-vous vous présenter ?

Alice Audouin – Je travaille dans le développement durable depuis un peu plus de 20 ans et depuis environ 18 ans j’ai une spécialisation sur le lien entre l’art contemporain et l’environnement. J’ai d’abord travaillé à la Caisse des dépôts et consignations où j’ai participé à la création de Novethic, un média de référence de l’économie responsable, expert de la finance durable.

J’ai créé le premier colloque international qui s’intitulait « L’artiste comme partie prenante » organisé à l’UNESCO en 2004. À cette occasion, j’ai mené la première recherche d’artistes dans le monde qui travaillaient sur le développement durable ou des sujets tels que réchauffement climatique. Cet événement a réuni pour la première fois en France à la fois des artistes, des scientifiques, des ONG et des entreprises sur la question des enjeux environnementaux et sociaux de notre époque.

J’ai ensuite également co-fondé et présidé pendant 6 ans l’association COAL, spécialisée sur l’art et l’environnement. Je l’ai quitté en 2014 pour créer l’association Art of Change 21.

Aujourd’hui, j’ai trois activités : Art of Change 21, un cabinet de conseil en développement durable spécialisé sur la RSE, la communication responsable et le lien entre l’art et l’environnement, et enfin une activité de commissaire d’exposition.

Fanny Legros – Après plusieurs années dans le secteur de la photographie et cinq années en tant directrice de la Galerie Jérôme Poggi, j’ai pris conscience à travers nos participations à des foires internationales et l'organisation de nombreuses expositions, que le monde de l'art n'avait pas encore entamé sa transition écologique. Les outils sont insuffisants. C'est pourquoi, à partir de 2020, j’ai créé Karbone Prod : une agence de conseil et ressources pour la production éco-responsable des acteurs du monde de l’art, qui les accompagne pour limiter et réduire l’impact environnemental de leurs productions. En 2022, accompagnée de Carole Vigezzi, j’ai également créé Plinth : un nouvel outil de réemploi de matériaux scénographiques, pour changer les pratiques et tendre vers le durable.

Pouvez-vous présenter le projet Art of Change 21 ?

Alice Audouin – Art of change 21 est une association pensée avec une dimension très internationale, qui agit à deux niveaux. Le premier est la collaboration avec les artistes contemporains via des expositions, des débats, des actions lors des COP climat. Le deuxième est de considérer, comme l‘a dit l’artiste Joseph Beuys, que « chaque être humain est un artiste », et donc de réfléchir à la transition écologique par la créativité et via le citoyen. Cette approche est au cœur de notre grand projet Maskbook, qui a réuni, depuis son lancement lors de la COP 21 en 2015, des milliers de participants et dont l’objectif est de mobiliser la créativité de chacun, en utilisant le masque comme symbole, sur le lien santé/pollution/climat. On a d’ailleurs beaucoup de créations qui traitent du thème de la forêt et de la préservation de la biodiversité face au changement climatique.

Maskbook

L’association agit aussi avec des prix, qui récompensent et soutiennent des artistes qui ont eu pour thème de travail les grands enjeux environnementaux. Côme di Meglio, Vincent Laval et Sara Favriau, qui ont participé à la table-ronde de FSC France, font d’ailleurs partie des lauréats.

Nous avons également une lettre d’information « Impact Art News », qui donne l’actualité sur ces sujets, mais aussi des conseils en éco-conception aux artistes pour avoir une approche plus responsable de leurs pratiques. Nous avons par exemple déjà fait la promotion du label FSC pour le bois et autres produits forestiers utilisés dans le secteur culturel.

Vous travaillez avec de nombreux artistes engagés ; est-ce une nouvelle génération d’artistes qui s’emparent de ces enjeux environnementaux ?

Alice Audouin – Les jeunes artistes sont concernés par ces enjeux environnementaux et le changement climatique. Pour eux, ces enjeux sont bien plus que des causes, mais une donnée de leur époque, ils sont nés dans la crise écologique.

Il y a eu très tôt l’idée d’une forme d’inefficacité des rapports scientifiques pour provoquer cette prise de conscience, et pendant longtemps une dimension sensible n’a pas été explorée. On ne parle que depuis très récemment de l’idée de nouveaux récits, de la manière dont on pourrait mobiliser un nouvel imaginaire, et c’est aussi très récemment que l’on a compris qu’une transition écologique avait une dimension culturelle, tout comme la gestion des forêts en a une aussi.

Dans l’art il y a toujours deux dimensions : il y a l’idée du message, du propos, la représentation du monde par l’artiste, et il y a le processus de production. Tout s’accélère en ce moment à ces deux niveaux. La question de l’impact de la production décolle, avec par exemple des bilans carbone, et nous annoncerons prochainement avec Fanny des analyses de cycle de vie d’œuvres d’art. Les artistes veulent agir. 

Selon vous, en quoi la nature est-elle une source d’inspiration et de création pour les artistes ?

Alice Audouin – La relation directe avec la nature est centrale dans le travail d’artistes comme Vincent Laval, qui utilise des branches ou du bois mort qu’il collecte en forêt, mais elle n’est pas toujours nécessaire pour adresser les enjeux environnementaux qui affectent la nature. Par exemple, pour évoquer la question du réchauffement climatique, je pense à l’action artistique de Tue Greenfort autour de la réduction de la température de la climatisation dans un musée. Une tendance très forte consiste actuellement à co-créer avec la nature, en collaboration avec le vivant, avec des algues pour Chloé Jeanne ou avec du mycélium pour Côme di Meglio par exemple.

Il est important de souligner qu’il y a une variété absolument gigantesque de parcours, d’approches et de rapports au vivant.

Côme di Meglio

Dôme en mycélium - Côme di Meglio.

En quoi le monde de l’art est-il un champ d’action pour répondre aux problématiques environnementales ?

Fanny Legros – Le secteur de la culture, le monde de l’art, sont des secteurs précurseurs et souvent en avance sur leur temps, mais pour les problématiques environnementales, on peut dire aisément qu’ils sont plutôt en retard. Cependant les choses bougent depuis quelques années, la prise de conscience est réelle et nous pouvons surtout dire que c’est un terrain d’expérimentation incroyable, car ce secteur nous permet d’innover en permanence et de pouvoir proposer parfois des solutions qui peuvent se retrouver à des échelles bien plus importantes par la suite.

Que signifie mettre en place une démarche d’éco-conception d’événements artistiques ?

Fanny Legros – Le but premier d’une démarche d’éco-conception est de réduire les impacts environnementaux d’un produit ou d’un service. En effet, il s’agit d’appliquer le principe de faire mieux avec moins tout en conservant les performances du produit ou service.

Spécifiquement pour l’exposition, il s’agit ici de travailler à des échelles plus raisonnées, avec un nombre d’œuvres moins important tout en gardant le propos de l’exposition et une meilleure gestion des emballages, des transports, de la fin de vie des expositions et de la communication. Tout cela dans l’objectif de réduire les impacts et, notamment, générer moins de déchets.

Avez-vous eu des difficultés à convaincre certains artistes, organisateurs ou entreprises d’allier ces deux approches ?

Alice Audouin – Aujourd’hui, tout le monde est partant, mais se demande encore comment agir. Il y a des contraintes financières, car choisir des matériaux plus écologiques est souvent plus cher. Il faut aussi que les solutions existent, car les artistes, aujourd’hui, dépendent un peu de ce qu’il y a dans les rayons des magasins, et n’ont pas toujours de listes d’éco-matériaux sous la main. C’est tout le but des projets d’éco-conception portés par Karbone Prod et Art of Change 21, pour accélérer l’expertise et la pratique sur ce sujet.

Il manque des outils d’évaluation accessibles et gratuits. Il y a cependant de bon reflexes et de bonnes pratiques de la part des artistes, et certains prennent des décisions fortes comme Olafur Eliasson, qui a décidé de ne pas faire transporter ses œuvres en avion de Berlin à Tokyo pour une exposition.

Ce grand mouvement n’est malheureusement pas aidé par la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) de l’Etat, qui n’inclut que les principaux émetteurs de carbone comme l’énergie, la construction, et le secteur de la culture n’y est pas ! Mais cela change heureusement côté pouvoirs publics avec France Relance. Nous nous trouvons à un moment charnière d’évolution et d’accélération grâce à une nouvelle génération engagée.

Fanny Legros – Nous allons vers des nouveaux paradigmes en la matière. Aujourd’hui, travailler de manière éco-conçue est peut-être parfois encore un peu difficile mais ce sera la norme de demain.

Avez-vous l’impression que tous ces enjeux environnementaux sont un peu mieux compris et pris en compte ?

Alice Audouin – Oui, j’étais extrêmement isolée quand j’ai démarré en 2004. Les gens autour de moi pensaient que j’avais « une bonne intuition » et c’était vraiment de l’ordre de l’intuition de relier art et environnement à l’époque ! Il faut savoir que le milieu de l’art avait aussi une dimension anti-écolo, se limitant à la figure d’un écologiste caricaturé comme quelqu’un de moralisateur ou de pessimiste. Très longtemps, on a voulu m’accuser de vouloir instrumentaliser les artistes au service d’une cause. Ce n’était absolument pas le cas, car la question écologique est liée à notre époque. Ce qui a fait bouger les choses, ce sont les artistes jeunes qui se sont emparés de ces enjeux et ont exprimé leur rapport à leur temps.

Les connaissances sur les enjeux des forêts, de la biodiversité et du climat ont également explosé, avec les rapports du GIEC ou les listes rouges de l’UICN. Les artistes apportent énormément dans la conception du développement durable et la prise de conscience.

Fanny Legros – J’ai créé Karbone Prod en 2020, et Plinth en 2022. Je pense qu’il y a 10 ans, je me serais largement cassé le nez !

Avez-vous des recommandations d’expositions ou d’artistes sur la thématique de l’environnement à voir dans les prochaines semaines ?

Alice Audouin – Il y a de nombreuses expositions sur le thème de la forêt ! Dont une merveilleuse à Lille, « La forêt magique », qui se déroule jusqu’au 19 septembre 2022 et qui propose une expérience au cœur de l’imaginaire des forêts.

Bien d’autres expositions sont également à voir. L’exposition collective « Forest Art Project – L’arbre dans l’art contemporain », au Musée de l’eau de Pont-en-Royans, réunit une trentaine d’artistes tels que Abdul Rahman Katanani, Evi Keller aux côtés des artistes de l’association « Forest Art Project ».

L’exposition au CNEAI (Centre National Edition Art Image), « Le nom du monde est forêt », ouverte à la même date, adresse la notion de domination de la nature, avec Julia Gault ou Loïs Weinberger.

L’arbre se retrouve encore dans le travail de Sara Favriau qui propose une installation in situ à partir d’essences d’arbres dans une exposition personnelle qui a ouvert le 27 juin à la Maison des arts de Malakoff, dans celui de Lélia Demoisy qui présente « Mémoire écorcée » à la galerie Sono. Dans le cadre des Rencontres de la photographie d’Arles, Noémie Goudal ausculte la forêt avec la paléoclimatologie, dans « Phoenix » dans l’église des Trinitaires.

Toutes ces expositions, et d’autres encore, sont présentées sur le blog d’Art of Change 21, l’abonnement à la lettre d’information est gratuit.