Evrard de Turckheim

Grâce à un travail de patience et de respect de la nature, Evrard de Turckheim veille à la préservation de la biodiversité forestière et gère des forêts mélangées, avec des essences multiples et des arbres de plusieurs générations pour concilier bois de qualité et ce qu’il aime appeler « une sylviculture invisible ». Diplômé de l’École Polytechnique Fédérale de Zurich, les forêts qu’il gère sont principalement situées dans les régions Grand Est et Hauts-de-France, et la quasi-totalité d’entre elles sont certifiées FSC. Elles se structurent en différents groupements, et se rassemblent au sein d’un groupe de certification FSC (groupe Dambach). « Les propriétaires avec lesquels je travaille sont assez peu présents dans les activités quotidiennes de gestion, mais nous travaillons en lien étroit et en parfaite confiance » explique Evrard de Turckheim. « Ce sont eux qui fixent les grandes orientations de gestion, qui font le choix de la certification FSC notamment, et je les accompagne dans cet engagement ».

Depuis plus de 30 ans, Evrard de Turckheim expérimente des méthodes de gestion forestière qui accompagnent la dynamique naturelle de la forêt, dans le but principal d’optimiser sa productivité, tout en prenant en compte les autres services et fonctions qu’elle apporte à la société. « Je considère la forêt comme un patrimoine, qui appartient certes à un propriétaire, mais qui est avant tout un patrimoine naturel, voire historique, qui dépasse le droit de propriété » explique Evrard de Turckheim, « en ce sens, notre responsabilité de forestier va au-delà d’une simple gestion forestière, nous avons une immense responsabilité vis-à-vis de la société toute entière ».

Groupe Dambach

Pour lui, une gestion responsable se définit donc comme une gestion globale : au-delà de la simple exploitation de bois, la prise en compte de la biodiversité mais aussi des milieux remarquables, de l’état des sols, la régulation des sources ou encore l’accueil du public sont plus que nécessaires. Le mélange est également un point clé dans son approche de la gestion responsable, qu’il juge primordial pour maintenir une diversité d’arbres, de plantes, de qualités. « Ce mode de gestion permet de rendre nos forêts plus stables, moins sujettes aux catastrophes ou à la prolifération de maladies et plus résilientes ».

Cette approche multifonctionnelle est au cœur des principes de Pro Silva, un réseau de forestiers européens réunis pour promouvoir une sylviculture mélangée à couvert continu, autrement dit une gestion basée sur un traitement « à l’arbre », qui respecte les processus naturels des écosystèmes forestiers. Membre fondateur de Pro Silva France en 1990, Evrard de Turckheim, qui se dit être « tombé dedans quand il était petit », est aujourd’hui Président de l’association depuis 2013. Cette structure, qui rassemble aussi bien des propriétaires, gestionnaires privés et publics, professionnels et amis de la forêt sur l’ensemble du territoire, est avant tout un groupe de travail, dont les actions principales sont la formation, et l’échanges de données et de techniques autour de cette approche de la sylviculture.

« Ce qui est beau dans notre approche, c’est qu’il n’y a pas d’opposition entre les différents aspects de la forêt, qui peut être belle tout en étant productive : j’aime dire qu’il n’y a pas de bonne économie sans bonne écologie et inversement » explique Evrard de Turckheim. Aujourd’hui, Pro Silva France se développe et évolue, notamment avec l’arrivée de nouveaux jeunes administrateurs qui apportent dynamisme et mixité.

Groupe Dambach

En n’intervenant que par petites touches pour récolter les bois mûrs ou favoriser les renouvellements, Evrard de Turckheim tente ainsi de suivre au mieux le cycle naturel de la forêt plutôt que de la contraindre. « Il n’y a pas de schéma, et c’est cette approche à l’arbre, à l’individu qui oriente la forêt vers une structure irrégulière. J’aime cette notion de « sylviculture invisible », qui permet d’imager le travail du forestier qui n’est pas visible du néophyte ».

Cela lui permet ainsi de produire des gros bois de qualité, utilisés pour tous les usages à forte valeur ajoutée. « Les résineux blancs vont par exemple servir à la confection de charpente, les résineux rouges comme le pin sylvestre pour des menuiseries extérieures, et les feuillus tels que le chêne et le hêtre pour du mobilier, des tonneaux, des agencements de cuisine ».

La certification FSC était donc une étape naturelle dans le développement des activités de l’expert forestier, dont les méthodes de gestion et le travail de concertation avec les organisations locales étaient compatibles avec le référentiel de gestion forestière FSC. « Aujourd’hui, la certification FSC me permet avant tout de trouver des marchés pour les bois, et de mieux les vendre » explique-t-il, « cet engagement avec FSC, que je renouvelle maintenant depuis plus de 20 ans, a un vrai intérêt économique, car cela me permet d’obtenir des plus-values intéressantes sur la vente de certaines qualités de bois ».

Aujourd’hui, Evrard de Turckheim souhaite poursuivre et développer cet engagement avec FSC, notamment à travers la mise en place de projets Services Ecosystémiques FSC. L’objectif est de valoriser les bénéfices de la gestion responsable des gestionnaires certifiés FSC et d’engager des partenaires financiers privés ou publics dans une démarche de préservation des services fournis par les forêts. Après un premier projet mis en place dans le parc naturel régional des Vosges du Nord, Evrard de Turckheim espère ainsi en développer de nouveaux : « j’en parle avec les propriétaires, certains sont très intéressés et souhaitent se lancer dans cette procédure, et je pense que reconnaître ces services forestiers et financer leur préservation est réellement l’enjeu de demain ».

Selon lui, les autres grands enjeux à venir sont également d’arriver à assurer la pérennité du couvert forestier, et de garder une forêt belle, multifonctionnelle et productive. Face aux effets du changement climatique, qu’il observe déjà sur certaines parcelles avec la perte d'épicéas, de frênes ou de hêtres, Evrard de Turckheim reste optimiste : « je ne suis pas inquiet, la forêt était là avant nous, et elle sera là après nous. La clé est de continuer d’accompagner les dynamiques naturelles, d'observer et de chercher à s’adapter à ces évolutions. Peut-être faudra-t-il planter des essences aux provenances plus méridionales, mais gardons-nous de solutions trop catégoriques ou trop simples, et ne jouons pas aux apprentis sorciers ».

À cela il ajoutera qu’être forestier est « un métier de passion et d’engagement, qui prend les tripes et offre le privilège de voir les peuplements évoluer, grandir, mûrir, parfois mourir, mais aussi renaître », en somme, un formidable métier.