Forêt Irrégulière École
Forêt Irrégulière École

Née en 2017, la Forêt Irrégulière Ecole (FIE) – dont l’objectif est de construire des connaissances sur la Sylviculture Mélangée à Couvert Continu (une sylviculture « douce » qui met un point d’honneur à ne pas perturber brutalement le milieu, notamment en favorisant des interventions fréquentes et légères, sans gros engins) et de les transmettre – est un projet porté par une multitude d’acteurs dont l’ONF, le Parc national de forêts, le CNPF, ProSilva France ou encore AgroParisTech.

Carole de Grandmaison travaille au sein du volet recherche de la FIE, cadre dans lequel des études sur le renouvellement forestier sont mises en place dans les forêts du SIGFRA, acteur engagé avec FSC depuis 2019, en Haute Marne. Un des enjeux de ces études est de quantifier les effets de l’éclairement relatif sur la croissance de la régénération naturelle.

La lumière et ses enjeux sur la régénération : mesure de l’éclairement relatif

En août 2022, Carole de Grandmaison, des chercheurs de l’INRAE et de l’Université de Liège comparent différents outils de mesure pour pouvoir appréhender de façon optimale le paramètre de la lumière.

Un densiomètre convexe
Un densiomètre convexe
Figure issue de l’article « Baudry, Olivier ; Charmetant, Charlotte ; Collet, Catherine ; Ponette, Quentin. Mesurer l'ouverture du couvert et estimer la disponibilité en lumière en forêt feuillue au moyen du densiomètre convexe. In: Forêt wallonne, Vol. 126, no.1, p. 17-28 (Septembre-Octobre) »

Ce dernier n’est pas réservé qu’aux chercheurs : en effet, les gestionnaires ont eux aussi besoin d’outils adéquats pour les guider dans leurs pratiques. « La question de la lumière est vraiment associée à la gestion à couvert continu. Les gestionnaires qui travaillent notamment en futaie irrégulière se posent la question de bien doser la lumière pour que la régénération naturelle puisse pousser plus facilement. Et cela, sans avoir à faire de sacrifice d’exploitabilité, c’est-à-dire couper des arbres avant qu’ils ne soient arrivés à maturité. De plus en plus de forestiers s’intéressent aux pratiques de régénération sous couvert puisque celui-ci apporte un microclimat plus frais, qui permet de limiter les pics de chaleur en été, qui peuvent nuire aux plantations ou aux semis naturels », témoigne Carole de Grandmaison.

Le densiomètre convexe est un outil créé aux États-Unis en 1956. Pour l’utiliser, l’opérateur tient l’outil devant lui : le miroir convexe dont il est équipé reflète la canopée au-dessus. Le miroir est quadrillé. L’opérateur doit compter le nombre de quarts de carreaux libres de feuillages, ce qui permet de mesurer l’ouverture du couvert (espace sans feuilles et laissant passer la lumière).

Quatre mesures sont effectuées, une pour chacun des points cardinaux.

Mais la méthode de référence actuelle pour mesurer l’ouverture du couvert consiste à prendre une photo hémisphérique, c’est à dire une photo à 180° et orientée vers le ciel. Cette méthode a la particularité de faire l’objet d’un traitement automatique, qui consiste à attribuer à chacun des pixels une couleur blanche ou noire (le seuillage), pour mesurer exactement la taille de l’ouverture du couvert. Cela permet d’éviter le biais dû à l’interprétation de l’opérateur. Quelques mesures avec des capteurs permettent de valider le seuillage automatique des photos.

Photos

Pour éviter l’emploi d’appareils photo lourds et coûteux, l’américain A. Z. Andis Arietta propose d’utiliser le mode photosphères (panoramas à 360°) de simples smartphones, pour produire des photos hémisphériques. C’est cette méthode qui a été testée et qui est employée plus couramment dans le cadre des études renouvellement.

Les photos hémisphériques ne permettent pas uniquement de mesurer l’ouverture du couvert. Elles vont également permettre de calculer l’éclairement relatif, soit la fraction de la lumière incidente qui est transmise. Cette grandeur, en plus de prendre en compte le rayonnement diffus, qui dépend de l’ouverture du couvert, intègre également la composante directe de la lumière, qui correspond à la course du soleil. 

Quelques mots sur le contexte des études

Couvrant 8131 hectares, les forêts du SIGFRA représentent un exemple unique en France en termes de Sylviculture Mélangée à Couvert Continu, à la fois sur l’ancienneté de la mise en place de ces pratiques – qui remonte aux années 1995-1998 –, et sur la qualité de la documentation produite.

Ces forêts sont situées sur un plateau calcaire, ce qui favorise une grande diversité d’essences : hêtre, chênes, charme, érables, alisiers, frêne… Une chance donc, d’obtenir des belles forêts mélangées. « Mais, spontanément, c’est le hêtre qui s’installe » explique Carole de Grandmaison, « aujourd’hui, il y a 45% de chênes et 35% de hêtres parmi les arbres adultes ; mais, si le forestier n’avait pas travaillé la forêt, nous n’aurions que du hêtre. Or, depuis 2018-2019, on observe un déclin rapide et vraiment marqué des hêtres adultes, ce qui représente un enjeu pour le renouvellement des forêts et la continuité d’un couvert forestier ».

C’est donc le point de départ des expérimentations lancées par la FIE : l’enjeu du renouvellement forestier, qui existe même sans dépérissement, s’est ainsi retrouvé accru par ce déclin du hêtre.

Sans pour autant condamner le hêtre, il est particulièrement important de favoriser une régénération naturelle très diversifiée pour que les forêts à venir soient mélangées et donc plus résilientes.

Les inventaires réalisés dans les forêts du SIGFRA ont permis d’observer une forte augmentation de la quantité de régénération naturelle, mais avec une forte domination du hêtre sur les autres essences, au-delà de 50 cm de haut. La régénération naturelle diversifiée est donc présente, mais sa croissance semble bloquée. Pour mieux comprendre ce blocage et donc aider le gestionnaire, les études sur le renouvellement de la FIE visent à déterminer les obstacles au développement d’autres essences en mélange avec le hêtre. Les hypothèses étudiées sont la présence de cervidés – qui consomment le haut des jeunes pousses –, le manque de lumière – le chêne sessile ayant besoin de 20 à 40 % d’ouverture – et la compétition avec le hêtre, qui est très dynamique, dès les plus jeunes stades. L’une de ces études vise à croiser l’effet de ces trois paramètres, pour mettre en évidence les conditions nécessaires à la bonne croissance de différentes essences. 

Cette étude est assez atypique : « C’est rare, d’étudier de la sorte la régénération naturelle en forêt. La régénération est souvent étudiée au stade perchis (arbres d’une taille inférieure à 12m), mais nous savons peu de choses sur les jeunes arbres de moins de 50 cm. Le chêne sessile et le hêtre sont souvent étudiés, on ne connaît peu de choses sur l’érable champêtre, l’alisier blanc, l’alisier torminal et le charme » souligne Carole de Grandmaison.

Applications concrètes à la gestion forestière

« Les mesures effectuées et croisées vont ainsi permettre de déterminer la vitesse de croissance des essences en fonction de l’éclairement relatif, ce qui pourra être utile en gestion forestière courante ! » se réjouit Carole Allard de Grandmaison.