Après plusieurs années de développement, cette boîte à outils est une réponse à une demande forte : protéger la biodiversité. Face à des enjeux climatiques, sociaux et de biodiversité qui ont rapidement évolué ces dernières années, créer un outil pratique et facile d’usage pour aider le gestionnaire forestier dans ses choix sylvicoles était devenu indispensable. Cette boîte à outils synthétise les meilleures connaissances sur les espèces à Haute Valeur de Conservation (HVC), propose des recommandations de gestion et permet de répondre aux exigences de protection et de suivi de la biodiversité du référentiel de gestion forestière FSC.

Magali Rossi, Chargée de mission Forêt et Développement régional chez FSC France, Daniel Vallauri, Expert Forêts chez WWF France et Emmanuel Ripout, Directeur de IP Forêt Services chez International Paper, nous racontent l’origine et la mise en place de cette boîte à outils.

Que signifie Hautes Valeurs de Conservation (HVC) ?

Magali Rossi – « Dans le cas de notre boîte à outils, s’intéresser aux Hautes Valeurs de Conservation, c’est s’intéresser tout particulièrement à la biodiversité remarquable en France, parfois gravement menacée d’extinction.

Cette dénomination a été développée à l’origine de la création du système FSC, pour assurer une meilleure prise en compte de ce sujet important.

Dans la définition développée par FSC International dès 1999, on retrouve 6 types de HVC : 3 d’entre elles concernent la biodiversité (les espèces, les habitats et les paysages d’intérêt particulier), une autre concerne les services offerts par les forêts à la société, aussi appelés services écosystémiques, comme par exemple la protection des eaux et des sols, ou encore contre les risques d’avalanche. La cinquième catégorie porte sur les besoins essentiels des populations qui dépendent des forêts pour leur survie, et la dernière concerne les valeurs culturelles (sites religieux en forêt, services récréatifs ou sites de détente importants par exemple). C’est aux 3 premières, c’est-à-dire la biodiversité remarquable, que l’on s’est intéressés.

Daniel Vallauri – Ce besoin de protéger la biodiversité est un enjeu partout dans le monde. Ne pas nuire à la biodiversité quand on exploite du bois est un des enjeux incontournables pour être un gestionnaire forestier responsable. Cet enjeu n’est pas si simple à appréhender, car la nature est complexe.

De par le monde, le WWF soutient le développement d’outils pour bien gérer sans détruire la biodiversité des forêts, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’espèces remarquables et menacées comme celles à Haute Valeur de Conservation.

Sauvegarder cette biodiversité dans des espaces forestiers gérés pour la production de bois est crucial. Sur ce point-, la certification FSC est significativement plus efficace.

Forêts

 

Est-ce important dans le référentiel FSC ?

Magali RossiDans le référentiel de gestion forestière FSC, le Principe 9 demande de « préserver et/ou accroître les Hautes Valeurs de Conservation dans l'unité de gestion certifiée en appliquant le principe de précaution ». C’est ambitieux, mais plus facile à écrire qu’à mettre en œuvre. C’est pour cela qu’il fallait aider la mise en pratique, créer des solutions répondant à cette exigence.

Ces étapes sont un prérequis pour obtenir la certification FSC : le gestionnaire candidat doit être en capacité de démontrer qu’il a correctement identifié les HVC de ses forêts et proposé des itinéraires sylvicoles ou des mesures de gestion qui sont adaptées à la conservation de ces HVC.

Emmanuel Ripout – En France, le concept de HVC est assez peu connu. Nous l’avons découvert et appréhendé lorsque International Paper s’est engagé dans une démarche de certification FSC au début des années 2000 pour apporter aux clients et consommateurs les garanties environnementales qu’ils attendaient. Les outils disponibles pour la biodiversité en France n’étaient alors pas toujours adaptés aux besoins pratiques des techniciens forestiers.

Nous devions nous appuyer sur de multiples zonages et sur des informations récoltées auprès d’associations naturalistes, territoire par territoire. Le travail s’est avéré difficile et chronophage, notamment car les interlocuteurs pouvant répondre à nos interrogations étaient parfois impossibles à identifier ou pas disponibles au moment nécessaire. En travaillant sur 15 départements et avec 10 techniciens gestionnaires, il était compliqué de garantir une homogénéité dans l’identification et le traitement de la biodiversité d’une région à l’autre.

C’est face à ce constat partagé et grâce aux retours d’expérience de plusieurs années de mise en place de la certification FSC, que nous avons souhaité développer un outil de terrain, crédible, facile à comprendre et à utiliser, dans le cadre de notre partenariat avec le WWF à partir de 2015.

 

Pour aider le gestionnaire forestier créer un nouvel outil était-il indispensable ?

Magali Rossi – Tout à fait ! Aujourd’hui un candidat à la certification ou un gestionnaire certifié utilise des données rassemblées par le Museum d’Histoire Naturelle, via le site de l’INPN (Inventaire National du Patrimoine Naturel), ou d’autres données dispersées (bases de données naturalistes régionales ou locales, bibliographies, etc.). Le site de l’INPN permet notamment l’accès aux fiches des sites ZNIEFF (Zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique) ou Natura 2000, deux types de zonages de protection de la nature. Mais le niveau d’information pour chaque site, espèce ou habitat est variable. De plus, s’il existe de la documentation sur l’écologie des espèces et des habitats, elle n’est pas toujours facilement compréhensible pour un gestionnaire, et il y a peu de recommandations pratiques et opérationnelles : l’espèce est peut-être , mais comment agir sans lui nuire ?

Daniel Vallauri – En France, après 40 ans de politiques successives de protection de la nature, les zonages, les connaissances scientifiques, les expériences de gestion de la biodiversité sont en effet nombreuses mais éparpillées. C’est une des raisons qui fait que la mise en œuvre opérationnelle des mesures adéquates de gestion de la biodiversité forestière en France tarde encore à entrer dans la pratique courante, comme en témoigne un nombre important d’espèces en mauvais état de conservation. Or le temps presse, les changements climatiques accentuent encore la pression de l’exploitation sur la biodiversité. Une gestion vraiment responsable sera un facteur positif de résilience, et est aujourd’hui encore plus indispensable qu’hier. D’où le besoin d’outils pratiques, proposés par FSC.

Cours d'eau

 

Concrètement, pour avancer, quelle a été la démarche choisie ?

Daniel Vallauri – Le défi pour la France n’était pas le manque d’information, même si on peut toujours l’améliorer. Le défi était de synthétiser les multiples connaissances accumulées sur les espèces et de les simplifier, pour que le gestionnaire appréhende mieux la biodiversité, et pour lui donner accès à des conseils de gestion à la fois fiables d’un point de vue écologique et pratiques pour un usage quotidien. Cela passe, par exemple, par une cartographie simple et des conseils précis pour les principales espèces.

La démarche a été fondée sur un dialogue vertueux, une sorte d’alliance dans cette mission et dans la durée (4 ans), entre la capacité de mobilisation des meilleures connaissances naturalistes du WWF, la rigueur d’un processus qui doit être auditable par FSC et l’expérience pratique d’un gestionnaire forestier œuvrant dans des centaines de propriétés privées et adossé à un industriel comme International Paper.

Le WWF a développé la partie scientifique et technique, l’a adaptée en fonction du retour d’expérience de International Paper et des échanges avec FSC France, a mobilisé les réseaux naturalistes. Ce fut un long travail mais un investissement qui nous semblait indispensable à la bonne mise en œuvre des exigences de l’interprétation française des trois premières catégories de Hautes Valeurs de la Conservation en France dans le référentiel FSC.

Je crois qu’on a ainsi évité de faire, soit un énième guide de généralités sur la biodiversité forestière, ce qui n’aide pas directement le forestier pour identifier, évaluer, décider et démontrer l’impact sur chaque parcelle ; soit une usine à gaz, chère et inutilisable par le forestier !

Emmanuel Ripout – Nous avons en effet apporté notre expertise de terrain, exprimé nos problématiques, défini nos besoins et évalué en permanence l’applicabilité de l’outil. Les enjeux de conservation de la biodiversité sont forts, mutualiser nos efforts a été essentiel pour mettre en œuvre des actions concrètes.

La première approche choisie avait permis de détecter 2386 espèces HVC sur notre territoire ! Soit mission impossible pour un technicien sur le terrain, car il ne peut pas connaître toutes les espèces, ni même les voir. Nous avons donc adopté une approche par habitat, pour détecter les espèces forestières les plus importantes. Au fur et à mesure, les visites sur le terrain ont permis d’adapter les premiers outils imaginés, et de les rendre très opérationnels.

Magali RossiL’idée de ce travail commun et de cette boîte à outils a été dès le départ de créer un outil valable à l’échelle nationale, mais pouvant facilement se décliner à l’échelle de chaque forêt. L’objectif était de permettre de réduire le temps passé sur la collecte de données, et de maximiser l’efficacité des actions du gestionnaire sur le terrain.

Rosalie

 

De quels éléments se compose cette boîte à outils ?

Magali Rossi Aujourd’hui, cette boîte à outils est composée de différents éléments, qui en font un outil complet et pratique.

Le module cartographique permet d’avoir rapidement accès à la liste des espèces HVC potentielle sur ses parcelles, à partir d’une synthèse de l’information des sites ZNIEFF 1 ou Natura 2000.

62 fiches sur les espèces forestières à Haute Valeur de Conservation ajoutent un élément clé pour comprendre la gestion recommandée. Elles ont été rédigées par le WWF France, validées et relues par un ou plusieurs experts de chaque taxon, IP Forêt Services (International Paper) et FSC France. L’idée est aussi de pouvoir compléter cet outil pour intégrer de nouvelles espèces ou habitats HVC à l’avenir.

Un catalogue d’indicateurs de suivi et un guide pratique de terrain permettent à la fois d’évaluer l’état initial de conservation des espèces HVC, et de réaliser des suivis périodiques. Ces guides aideront le gestionnaire à vérifier que ses activités de gestion permettent bien la préservation (voire la restauration) des espèces. Par ailleurs, 8 fiches présentant des Outils de gestion vont faciliter la compréhension et la mise en place des principales recommandations.

Et pour celles et ceux qui souhaitent aller plus loin, le document Démarches et méthodes a été créé pour mieux expliquer la conception de cette boîte à outils et sa logique scientifique.

Martre

Qui pourra utiliser cette boîte à outils ?

Emmanuel Ripout – Pour les acteurs de terrain, cette boîte à outils permet à tout le monde d’avoir le même niveau d’information. Cela permet aussi de mieux communiquer avec les naturalistes locaux, et de vulgariser le sujet de la biodiversité auprès des propriétaires forestiers.

Magali Rossi – Les gestionnaires forestiers certifiés FSC sont évidemment la première cible, de même que les candidats à la certification. Toutefois les partenaires ont souhaité qu’elle soit également accessible sur le site de FSC France à tout forestier qui souhaite améliorer sa gestion.

Elle sera également utile aux organismes certificateurs. Ces derniers ne vont pas contrôler les mesures indiquées dans la boîte à outils, car cette dernière n’est pas normative. En revanche, les organismes certificateurs n’ont pas forcément l’intégralité des connaissances naturalistes nécessaires pour vérifier que le Principe 9 du référentiel est bien appliqué. Cette boîte à outils va donc les aider sur le terrain pour suivre les mesures prises par les gestionnaires certifiés. FSC France organise deux réunions annuelles avec les organismes certificateurs, nous allons donc en profiter cette année pour leur présenter et expliquer ce nouvel outil.

Il est également prévu de former les gestionnaires forestiers, mais aussi les naturalistes ainsi que les animateurs de territoires qui seraient intéressés par cet outil, au cours de l’année 2021, lors de formations régionales financées par l’Office Français de la Biodiversité, dans le cadre du projet « Forêts vivantes » du programme « MobBiodiv’ 2020 » de l’OFB, que FSC France et WWF développent ensemble. »


À travers ce nouvel outil, FSC France, WWF et International Paper espèrent rendre la préservation de la biodiversité forestière plus accessible et moins complexe à mettre en œuvre dans les forêts certifiées FSC, et pourquoi pas, en faire une référence pour l’ensemble des forestiers.

Cliquez ici pour découvrir cette boîte à outils.